Chapitre 17

   Rebecca ?

Je levai la tête et la reposai aussitôt parce qu'elle me faisait mal. Heureusement pour moi, j'étais dans un lit.

Dans un lit !!!?

   Qu'est-ce que je fous là ? Où suis-je ? beuglai-je.

     Nous sommes dans un hôtel, à la sortie de la ville, dit Clarence en me tendant un café. Je t'ai transportée ici pour que tu puisses récupérer. Tu as pris un gros risque en me transférant le peu d'énergie qu'il te restait.

           Ouais, mais apparemment ça a fonctionné, remarquai-je en attrapant la tasse.

     Vois par toi-même, dit-il en soulevant son tee- shirt et en me montrant une plaie pratiquement cicatrisée.

    Impressionnant, fis-je en avalant une gorgée, tu régénères sacrément vite, même pour un muteur.

   Je suis un Alpha, ça aide, dit-il.

Il portait un holster d'épaule et un fourreau à couteau sur la hanche.

   Tu as enfin récupéré ton artillerie ?

   Oui et je n'ai plus l'intention de sortir sans. C'est une leçon que je ne suis pas près d'oublier...

           Depuis combien de temps est-ce qu'on est ici ? demandai-je inquiète.

   Seulement six heures...

   Six heures !!!? Oh Putain !

Je jetai un coup d'œil à ma montre et me redressai aussitôt.

Michael et ses hommes allaient débarquer dans deux heures. Je devais absolument rentrer.

Je posai les jambes à terre mais elles semblaient avoir du mal à me porter.

           Rebecca, tu es encore trop faible, tu dois te reposer, dit Clarence en me rattrapant de justesse.

   Je ne peux pas.

Il me regarda d'un air grave.

           Des hommes ont essayé de te tuer aujourd'hui et on ne sait absolument pas qui les a envoyés. Ils savaient où et quand te trouver. Si tu subis une autre attaque, tu ne seras pas en état de riposter.

   Si je n'y vais pas, je suis morte de toute façon.

Il me fixa en silence pendant un bon moment.

           D'accord. Dans ce cas accepte mon aide. Tu m'as sauvé la vie, le moins que je puisse faire, c'est de te ramener chez toi.

Ma première réaction fut de l'envoyer balader, par réflexe, mais j'étais si vidée, si incroyablement fatiguée que je laissai tomber. De toute façon, je n'avais pas vraiment le choix.

           Entendu. Je te permets de pénétrer sur mon territoire mais n'en fais pas une habitude et ne prends pas ça pour une invitation... personnelle, marmonnai-je.

   Il n'y a pas de danger.

Je lui jetai un regard suspicieux.

   Pourquoi ?

            Parce que je n'ai pas envie de mourir et que de fréquenter une fille comme toi, c'est comme jouer à la roulette russe. À la dernière balle du barillet, on finit forcément par crever.

Etrange, on me la sortait de plus en plus souvent celle-là.

           Je croyais qu'un Assayim n'était de toute manière pas censé faire de vieux os.

          C'est une question de chance et de statistique. Mais si tu traînais dans les parages, ce serait une certitude.

    Vil flatteur, va ! plaisantai-je à demi. Il me sourit et me souleva dans ses bras.

      Allons-y, madame, votre carrosse vous attend. Je ne savais pas si je devais ou non parler de cette attaque à Raphaël. Je doutais fortement que les vampires aient quoi que ce soit à voir là-dedans. Utiliser les métamorphes pour faire les sales besognes n'était pas dans leurs habitudes. Et je voyais mal l'un d'entre eux risquer à la fois la colère du Mortefilis, celle de

R

aphaël ou même de Michael. La logique aurait voulu que cette tentative de meurtre soit plutôt liée à l'affaire en cours. Et que la cible soit l'Assayim du Vermont et non Rebecca Kean.

      Tu pourras te charger de ma voiture ? demandai-je à Clarence en lui tendant mes clés.

      Pas de soucis. Un de mes hommes te la ramènera demain.

Il démarra doucement après m'avoir confortablement installée sur le siège avant de la Mercedes. J'appréciai l'odeur du cuir neuf et la qualité de la stéréo.

   C'est une voiture de fonction ?

  Oui, pourquoi ?

   Pour rien.

Beth avait raison. Je devais absolument renégocie les termes de mon contrat et mes avantages en nature avec le Directum.

           Écoute, Rebecca, je ne devrais peut-être pas te dire ça, mais j'ai une dette envers toi.

Je lui jetai un regard attentif tandis que ses yeux restaient obstinément braqués sur la route.

   Vas-y.

   Je ne t'ai pas tout révélé tout à l'heure...

   Sans blague ? raillai-je.

           Quand j'ai enquêté sur les deux meurtres, j'ai failli y rester, c'est ce qui m'a fait abandonner l'affaire.

   Quelqu'un a essayé de te tuer ? Pourquoi ?

           Ces assassinats ont tout l'air d'avoir été commis par un sadique, un détraqué mais j'ai découvert que ce n'était pas le cas. Le meurtrier a un maître. Il obéit aux ordres.

   De qui s'agit-il ?

           Je ne sais pas, j'étais sur le point de le découvrir quand j'ai été enlevé, torturé et pratiquement laissé pour mort. Sur mon oreiller, j'ai trouvé la tête de ma mère et une lettre me disant que si je parlais de ça à qui que ce soit, les prochaines seraient mes deux petites sœurs.

           C'est pour cette raison que tu m'as donné rendez-vous dans un endroit discret et que tu as demandé à ton bras droit de venir. C'était une mesure de précaution ?

           Oui. Et il est mort. J'ai envoyé quelqu'un le récupérer discrètement à l'institut médico-légal.

           Clarence, s'ils savent qu'on s'est rencontré, il y a de grandes chances que tes sœurs soient en danger...

           Non. Kate est morte lors d'un combat, il y a trois ans et Dorothy a déménagé en Asie. Elle travaille avec les humains, dans l'humanitaire. Personne, pas même moi, ne sait où elle se trouve en ce moment même.

   Il ne reste que toi... murmurai-je.

   Et ils ont presque failli m'avoir.

Je réfléchis un moment et lançai :

           Ça te dirait de prendre des vacances dans le Vermont ?

   Qu'est-ce que tu proposes ?

           Je te propose une coopération officieuse pour coincer cet ou ces enfoirés.

Il réfléchit deux secondes puis dit avec un sourire en coin :

   Pourquoi pas...

          Préviens ton Directum. Dis-leur que tu prends un congé.

        Ils auront vite fait de découvrir où je me trouve. Et surtout en compagnie de qui.

          Pas si sûr. Je demanderai à Aligargh de te recevoir. Il y a une femelle puma dans la meute. Elle est célibataire. Arrange-toi pour qu'on vous voie ensemble. Après tout, tu as l'âge de te caser, non ?

Aligargh, chef des muteurs du Vermont, me devait un service. Il était temps de le lui rappeler.

   Je te préviens, si c'est une emmerdeuse...

        Clarence, toutes les femmes sont des emmerdeuses.

        Ouais mais elles n'ont pas toutes des crocs et des griffes !

       Ne me dis pas que tu crains les femelles de ton espèce ? dis-je en riant.

   Va te faire foutre !

Une demi-heure plus tard, j'étais à Burlington.

   Où est-ce que je te dépose ?

   Chez Raphaël.

   Le Magister de la Nouvelle-Angleterre ?

   Oui. Je vais t'indiquer la route.

Le muteur fronça les sourcils, mais suivit mes instructions sans discuter. Du moins, jusqu'au portail de la propriété.

           Il y a des suceurs de sang dans tous les coins, fit-il en humant l'air avec une mine dégoûtée.

   Eh oui, fis-je en souriant.

Une dizaine de vampires s'étaient plantés devant la voiture et je dus abaisser la vitre teintée.

   Bonsoir.

           Excusez-nous, madame, mais nous avons des ordres concernant la sécurité. Cet homme ne peut entrer, dit-il en désignant Clarence.

   Il est avec moi, fis-je d'un ton sec.

   Oui mais...

   Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Clarence.

           Rien. Ils font juste un peu de zèle parce que nous recevons des invités de marque, répondis-je sans réfléchir.

            Ils t'appellent « madame », tu dis « nous recevons ». Je suppose que ce qu'on raconte sur toi et la « Mort Blanche » est vrai tout compte fait, dit-il d'un ton de reproche.

           Ah ? Parce qu'on raconte des choses sur Raphaël et moi ?

            Qu'est-ce que tu crois ? Qu'il n'existe pas de ragots dans le monde des morts-vivants ?

J'espérais surtout que ces racontars n'avaient pas franchi les frontières de l'État.

         Martin, ouvrez cette putain de barrière ou mon ami vous roule dessus, c'est compris ?

Le vampire resta impassible mais je sentis une lueur d'inquiétude traverser son regard.

   Je ne peux pas, madame.

         Fonce, fis-je froidement en appelant mon pouvoir et en propulsant les vampires dans les airs.

         Eh bien... on dirait que tu as retrouvé la forme, remarqua Clarence en me déposant juste devant l'immense escalier de l'entrée.

   Oui. Je crois que j'ai récupéré. Merci.

   Et maintenant ? Que suis-je censé faire ?

          Tu vas en centre-ville et tu prends une chambre pour la nuit.

          À quelle heure est-ce que je dois passer te prendre demain ?

          À 9 heures. Tu as besoin de vêtements ou d'un nécessaire de toilette ?

         Non. J'ai tout ce qu'il me faut dans le coffre. Je suis un métamorphe, ne l'oublie pas.

Les métamorphes déchiraient la plupart de leurs vêtements en se transformant. Ce qui les contraignait à se déplacer avec une ou deux tenues de rechange. Et à se fringuer bon marché.

          À demain, Clarence, fis-je en sortant de la voiture.

          Rebecca ? Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais sois prudente. Il se pourrait que le tueur soit dans le coin.

          Ce soir, les vrais méchants sont tous ici et ils me font bien plus peur que ce malade, crois-moi, dis-je en m'appuyant contre la voiture.

           Oh, mais je te crois, fit-il tandis qu'une dizaine de vampires avançaient prudemment vers nous.

   Tu ferais mieux de te tirer ! lançai-je en refermant brusquement la portière.

   Ce n'est pas juste. C'est toi qui les as agressés, pas moi ! lança-t-il par la fenêtre, en démarrant sur des chapeaux de roues.

   Qui t'a dit que la vie était juste ? criai-je tandis que la voiture s'éloignait.

Je ne pus m'empêcher de rire et ma crise d'hilarité tourna carrément à l'hystérie lorsque je croisai le regard réprobateur et terriblement menaçant de Martin. Je le vis ouvrir la bouche, hésiter quelques secondes et finalement y renoncer, visiblement écœuré.

   Désolée, Martin, désolée, balbutiai-je tant bien que mal, entre deux crises de fous rires.

Puis, il me tourna le dos avec toute la dignité qui semblait lui rester tandis que je tentais, sans grand succès, de reprendre mon sérieux.